Changement climatique : huit points clés pour comprendre le nouveau rapport du Giec très alarmant
Depuis plus de trente ans, le Giec, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, évalue l’état des connaissances du changement climatique, ses causes, ses conséquences, mais aussi les possibilités de les atténuer et de s’y adapter.
La première partie de son sixième rapport a été rendue publique ce lundi 9 août 2021, depuis Genève, après avoir été adoptée par les délégations des 195 pays engagés dans la lutte et signataires de l’Accord de Paris, en 2015.
1. Les changements climatiques sont sans précédent depuis des milliers d’années
Ce qu’il faut en retenir ? C’est pire qu’en 2013-2014, lors de la publication de la précédente évaluation. Selon la nouvelle somme rédigée par plus de 230 scientifiques qui ont dû faire avec 78 000 commentaires de leurs pairs, les émissions de gaz à effet de serre (GES) d’origine humaine n’ont toujours pas baissé, et l’objectif de maintenir la surface de la Terre à 1,5 °C de réchauffement d’ici la fin du siècle est hors de portée, sans réaction rapide.
Bon nombre des changements observés dans le climat sont sans précédent depuis des milliers, voire des centaines de milliers d’années, dans toutes les régions du monde, résume la climatologue française Valérie Masson-Delmotte, coprésidente du Groupe de travail 1 du Giec, qui a réalisé cette première partie. Certains des changements déjà amorcés, comme l’élévation continue du niveau de la mer ou l’acidification des couches profondes de l’océan sont irréversibles sur des centaines, voire des milliers d’années
.
La scientifique note aussi l’incroyable progrès des connaissances en huit ans »,
dont des mesures régionales plus précises et la capacité du système Terre à se remettre des gaz à effet de serre que nos modes de vie rejettent. C’est la bonne nouvelle ! Des réductions rapides, à grande échelle et durables des émissions limiteraient le changement climatique. En vingt ou trente ans, les températures mondiales pourraient se stabiliser
, insiste Valérie Masson-Delmotte.
Le point sur les différents enseignements de ce premier volet, avec la climatologue et d’autres auteurs du rapport.
2. C’est l’homme, le responsable, « sans équivoque »
Les activités humaines sont-elles à l’origine du changement climatique rapide actuel, jamais observé depuis des milliers d’années ? C’est un oui
ferme : Les augmentations observées des concentrations de gaz à effet de serre depuis environ 1 750 proviennent sans équivoque des activités humaines
indique le rapport, dès la première ligne du Résumé aux décideurs
(les gouvernements).
La réponse du Giec à cette question cruciale n’a pas toujours été aussi tranchée. Les scientifiques sont très attachés au traitement de l’incertitude et indiquent toujours un degré de confiance et de probabilité
, a toujours rappelé à Ouest-France, le paléoclimatologue Jean Jouzel, ancien vice-président du Giec. Les doutes se sont levés au fil des observations scientifiques.
En 1995, le 2e rapport d’évaluation parlait d’un faisceau d’éléments (qui) suggère une influence perceptible de l’homme sur le climat global ».
En 2007, le Giec la jugeait très probable, avec plus de 9 chances sur 10
et extrêmement probable, à 95 %
en 2013.
Il n’y a plus aucun doute dans ce sixième rapport. Le rôle de l’influence humaine sur le système climatique est indiscutable
, assure aujourd’hui, Valérie Masson-Delmotte, qui a longtemps travaillé avec le climatologue breton.
Aucun dirigeant responsable ne peut le nier, désormais. C’est un fait établi, grâce au progrès des connaissances.
3. Il y a toujours plus de gaz à effet de serre rejeté dans l’atmosphère
C’est la conclusion alarmante du rapport qui risque de faire marcher la génération climat dans les rues, en septembre. Les concentrations de gaz à effet de serre ont encore augmenté dans l’atmosphère depuis la dernière évaluation du Giec, malgré les engagements des États, pris après l’Accord de Paris pour le climat, en 2015.
Elles atteignent des moyennes annuelles de 410 ppm (partie par millions) pour le dioxyde de carbone (CO2), 1 866 ppb (partie par milliards) pour le méthane (CH4) et 332 ppb pour le protoxyde d’azote (N2O)
, indique ce sixième rapport, basé sur des données de 2019.
Depuis, ces gaz piégés dans l’atmosphère qui maintiennent la chaleur de la Terre à la surface, affichent des concentrations records.
L’observatoire de la surveillance mondiale du dioxyde de carbone, situé à Mauna Loa, à Hawaï, a enregistré une moyenne de 417 ppm, en mai 2021, avec un pic à 420ppm en juin. Une augmentation exponentielle et inquiétante
, pour Pieter Tans, chercheur principal de ce laboratoire. Nous ajoutons environ 40 milliards de tonnes métriques de pollution au CO2 dans l’atmosphère par an (43 milliards en 2019). C’est une montagne de carbone que nous extrayons de la Terre, brûlons et rejetons. Si nous voulons éviter un changement climatique catastrophique, la priorité absolue doit être de réduire la pollution par le CO2 à zéro le plus tôt possible.
Le Giec indique pour sa part que notre budget carbone, les émissions qui restent à émettre avant que tout ne soit potentiellement irréversible, est de 500 milliards de tonnes.
Le secteur des combustibles fossiles sait que s’ils exploitent les réserves connues de gaz, de pétrole et de charbon, il y a environ 3 000 milliards de tonnes d’émissions à la clé.
4. L’objectif de limiter le réchauffement à 1,5 °C est déjà hors de portée
Ces niveaux de concentrations de gaz à effet de serre provoquent une accélération du réchauffement. En 2011-2020, la température à la surface du globe était supérieure de 1,09 °C [avec une marge de 0,95 à 1,20] à celle du début de l’ère industrielle (1850-1900)
, indique le rapport.
En 2020, il a fait plus chaud avec une mesure à 1,59 °C [avec une marge de 1,34 à 1,83] sur les terres, tandis que l’océan s’est réchauffé un peu moins, entre 0,68 °C et 1,01 °C. La moyenne mondiale est de 1,1 °C.
Pour le dire clairement, l’objectif de maintenir le réchauffement de la surface de la Terre à 1,5 °C si possible d’ici la fin du siècle, comme inscrit dans l’Accord de Paris, est déjà hors de portée.
Au rythme actuel des émissions, il pourrait être atteint entre l’année prochaine et 2040, selon le rapport. Les 2 °C de réchauffement, eux, sont attendus autour du milieu du siècle si les émissions de gaz à effet de serre stagnent.
5. Une meilleure connaissance des disparités régionales
Chaque région est confrontée à des changements croissants, mais différents. « Ce que les gens vivent est souvent très différent de la moyenne mondiale. Par exemple, le réchauffement des terres (déjà 1,59 °C) est plus important que la moyenne mondiale (1,1 °C), détaille Valérie Masson-Delmotte. Et il est plus de deux fois plus élevé dans l’Arctique. »
La fonte des glaciers et des calottes polaires, principale cause de l’élévation du niveau de la mer, n’est pas la même non plus dans le Nord et le sud. L’Antarctique a perdu trois fois plus de masse de glaces depuis les années 2000 et le Groenland, deux fois plus.
À plus long terme que dans l’Antarctique, où l’écoulement des eaux de fonte est instable, la calotte glaciaire du Groenland sera aussi perdue
, détaille Gerhard Krinner, directeur de recherche au CNRS et auteur principal du chapitre 9 de ce rapport, sur l’océan, la cryosphère et le changement du niveau de la mer.
À l’échelle de la France, le réchauffement n’est déjà pas le même. L’année 2020, par exemple, affichait 2,3 °C au-dessus de la température enregistrée au début du siècle. Mais c’est encore plus chaud dans l’Est, où il faut s’attendre à des canicules à 50 °C, et en montagne, dans les Alpes et les Pyrénées.
Les équipes du Giec ont mis en ligne ces informations plus précises par régions que l’on peut explorer en détail dans un atlas interactif.
6. Le cas du méthane devient alarmant
Dans cette nouvelle évaluation, le Giec consacre un chapitre spécial au méthane (Ch4), principal gaz à effet de serre après le CO2 et désormais responsable d’un quart du réchauffement climatique
. Il persiste moins longtemps dans l’atmosphère que le CO2 mais a un pouvoir de réchauffement 28 fois supérieur
.
Or, sa concentration augmente très rapidement, trop pour le Giec qui la juge bien supérieure aux limites de sécurité
qu’il avait définies dans son cinquième rapport d’évaluation.
Les émissions humaines de méthane proviennent de trois grands secteurs : 40 % pour l’agriculture, 35 % pour les énergies fossiles (gaz de schiste, extraction de pétrole…) et 20 % pour les déchets. Dans le secteur agricole, c’est la production animale qui rejette l’essentiel du méthane et celle-ci progresse dangereusement pour répondre à l’appétit de viande mondial. Le gaz de schiste aux États-Unis et ses puits parfois abandonnés ont contribué à l’augmentation des émissions de méthane ces dernières années. | REUTERS ARCHIVES
Réduire de 45 % les émissions de méthane d’ici à 2 040 permettrait d’éviter 0,3 °C supplémentaire. Et améliorerait rapidement la qualité de l’air
, indique Sophie Szopa, spécialiste de la chimie de l’atmosphère, de l’université Paris-Saclay et co-autrice de ce point spécial.
Celui-ci propose aussi des solutions, comme diminuer le cheptel des bovins, le plus émetteur. C’est ce que l’Éthiopie, premier éleveur de bœufs de l’Afrique, avec 35 millions de têtes, a prévu de faire d’ici à 2030.
Il faudrait aussi changer leur nourriture. Des chercheurs californiens ont déjà montré qu’il est possible de réduire de 50 % les émissions de méthane des vaches laitières, en incluant des algues dans leur base alimentaire.
Dans le secteur de l’énergie, il faudrait passer aux énergies propres et chasser les moindres émanations de gaz, fuites volontaires ou involontaires.
7. Des conséquences de plus en plus dramatiques
Une phrase de cette évaluation résume clairement l’enjeu de la lutte contre un emballement climatique : Maintenir les températures en dessous de 1,5 °C éviterait 255 000 décès prématurés et 26 millions de tonnes de pertes de récoltes dans le monde
.
À ce niveau de chaleur, les canicules seront plus nombreuses, les saisons chaudes plus longues et les froides plus courtes, avec davantage de risque de gel alors que la végétation bourgeonne, comme cet hiver en France. Avec un réchauffement supérieur, de 2 °C, les extrêmes de chaleur atteindront plus souvent des seuils de tolérance critiques pour l’agriculture et la santé
insiste le Giec.
Les populations côtières feront face à une élévation continue du niveau de la mer tout au long du XXIe siècle et devront s’attendre à des inondations plus fréquentes : Des événements extrêmes […] qui se produisaient auparavant une fois tous les 100 ans pourraient se produire chaque année d’ici la fin de ce siècle. » L’hémisphère nord doit aussi s’attendre à 7 % de quantité de pluies supplémentaires.
Même si l’océan se réchauffe moins vite que les terres, les vagues de chaleur marines seront plus fréquentes et les eaux seront plus acides, moins oxygénées. La survie de la faune la moins mobile, comme les coraux, est en jeu. À 1,5 °C de réchauffement, plus de 70 % des coraux du Pacifique nord disparaîtront, à 2 °C, presque la totalité. La durée de la période sèche va s’allonger sur le pourtour du bassin méditerranéen, conditions propices à une augmentation des incendies comme cet été en Grèce, ici sur l’île d’Eubée, dimanche 8 août. | AFP
En ville, où se concentre 55 % de la population mondiale, un taux qui devrait grimper à 70 % en 2 050 selon la récente étude de l’ONU, la chaleur va s’accentuer.
Elle est déjà plus forte que dans les milieux ruraux, en raison des matériaux de l’urbanisation. On redoute davantage d’inondations, comme celles qui ont frappé l’Allemagne de l’Ouest et la Belgique, en juillet.
Ce volet insiste aussi sur le pourtour méditerranéen où la durée de la période sèche, qui dure actuellement une quarantaine de jours, pourrait augmenter de 50 % d’ici la fin du siècle
, environ soixante jours avec un réchauffement à 1,5 °C, 70 jours à 2 °C, précise Valérie Masson-Delmotte.
8. La balle est dans le camp des États
Seul heureux hasard d’un calendrier bousculé par la pandémie de Covid-19, ce premier volet du sixième rapport d’évaluation du Giec, est disponible à temps pour la Cop26, la conférence des parties signataires de l’Accord de Paris.
Prévue à Glasgow, en Écosse, en novembre 2020, elle a été repoussée à cet automne. Les conclusions du Giec devraient être intégrées aux délibérations de ce sommet climat.
Les pays doivent se saisir de cette contribution inestimable aux négociations sur le climat et à la prise de décision
, a déclaré le Coréen Hoesung Lee, président du Giec. Nous disposons désormais d’une image beaucoup plus claire du climat passé, présent et futur, ce qui est essentiel pour comprendre où nous allons, ce qui peut être fait et comment nous préparer
, estime de son côté Valérie Masson-Delmotte. Le Premier ministre britannique Boris Johnson et sir David Attenborough, militant de toujours de l’environnement, veulent une COP26 efficace à Glasgow (Écosse), en novembre. | REUTERS
Les Britanniques, hôtes de la COP26 ont déclaré la chasse au CO2 et veulent obtenir un accord mondial sur la sortie du charbon, le plus gros polluant. C’est l’une des conditions pour atteindre la neutralité carbone en 2050, déjà adopté par de nombreux États. Le calendrier se resserre alors que nos sociétés tournent toujours à 80 % des combustibles fossiles accessibles (charbon gaz et pétrole) et que les solutions sont connues.
Bien vouloir télécharger Communiqué de presse GIEC
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